À l’occasion de ses vœux de nouvel an adressés à ses compatriotes tant aimés, le président Alpha Condé a eu une pensée affectueuse pour « tous ceux qui sont victimes d’injustice dans leur travail, qui sont arbitrairement privés de liberté, qui ont perdu leur maison, qui sont désormais confrontés à l’insécurité et qui ne connaissent plus de lendemains meilleurs avec les nouvelles difficultés de la vie quotidienne ».
Comme il a raison, disons-nous en chœur. Cependant, le premier président démocratiquement élu de la Guinée aurait pu également ajouter ceci : en dehors de la parenthèse enjouée que représentent ses deux mandats, le peuple guinéen est habitué à subir la violence de ceux qui sont censés le protéger. Et justement, c’est parce que les Guinéens étaient excédés par les traitements inhumains et dégradants que leur infligeaient ces régimes autoritaires qui se sont succédé à la tête du pays qu’ils ont préféré lui confier leur destinée à l’issue de la présidentielle de 2010. D’ailleurs, en dépit du coup d’État intervenu le 5 septembre 2021, conséquence logique d’une campagne de diabolisation orchestrée par tous ceux (ils étaient nombreux) dont les intérêts étaient menacés par sa gouvernance, ses concitoyens sont prêts à repartir pour un nouveau bail avec lui. C’est le seul enseignement à tirer de l’engouement suscité par ses vœux.
Une glaçante prouesse
D’autant que la mégestion de la junte militaire au pouvoir n’augure rien de très rassurant, hélas. Les Guinéens sont entrain de boire le calice jusqu’à la lie, tant Mamadi Doumbouya est capable de brutalité voire de bestialité contre tous ceux qui tentent de défier le pouvoir qu’il a usurpé. Même « ses applaudisseurs » de naguère ont réalisé aujourd’hui qu’ils ont contribué à faire entrer le pays dans une séquence cauchemardesque : interdiction des manifestations dans la rue, violence contre de manifestants pacifiques, suppression de la liberté de se réunir même dans l’intimité de son domicile – l’ancien coordonnateur du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) Abdourahmane Sano vient de faire l’amère expérience en comparaissant le 9 janvier devant un tribunal de Conakry pour « participation délictueuse à des réunions publiques » – arrestation arbitraire, destruction de biens privés, exil forcé de potentiels concurrents etc. pour ne citer que ces exemples.
Un tel bilan en si peu de temps est une bien glaçante prouesse de la part des putschistes. Eux, qui avaient pourtant promis monts et merveilles aux Guinéens. Leur chef, l’ex-légionnaire, avec la vulgarité qu’on lui connaît, voulait « faire l’amour » à la dame Guinée, promettant de rassembler ses enfants divisés par les ambitions politiques. En vérité, il est illusoire d’espérer bâtir en Guinée une réconciliation nationale sincère sur la ruse et le faux. Voilà qui en dit long sur la nature de ce pouvoir de transition et la logique rétrograde de ses membres. Avec un tel palmarès répugnant, il convient de ne pas minimiser la frustration de certaines communautés qui se sentent déjà visées par les mesures arbitraires de la junte. Le risque ici, est que demain (en tout cas à brève échéance) l’on apprenne que des Guinéens s’estimant lésés en viennent à se mettre en marge du cadre républicain, contestant violemment les institutions légales pour se faire entendre. Cette perspective est loin d’être une simple hypothèse d’école puisque les observateurs les plus attentifs notent un repli identitaire de plus en plus assumé et assistent à la montée en puissance d’un discours revanchard. Les drames commencent souvent par un sentiment de marginalisation ou d’exclusion au sein de la communauté nationale et la volonté de se faire justice soi-même.
Capable de pardonner à ses tombeurs
Autrement, la question de la cohésion nationale et la réconciliation du même nom va s’imposer dans l’agenda post-transition. Ceux qui prendront les rênes du pays (Dieu veuille que ce soit le président Alpha Condé) après cette parenthèse transitoire doivent se fixer comme objectif principal… la cohésion de l’ensemble des communautés du pays.
Or, dans la Guinée d’aujourd’hui, parmi tous les prétendants au fauteuil présidentiel – à l’exception du président Alpha Condé bien évidemment – on cherche désespérément le profil d’un leader qui aura une réelle légitimité pour recoudre le tissu national mis en lambeaux par la junte militaire et réconcilier ses compatriotes. De l’avis de tous les analystes ou presque, le seul leader qui a la légitimité nécessaire – président démocratiquement élu et qui possède l’expérience requise (d’aucuns diraient la sagesse concrète) pour avoir été confronté à l’épreuve du feu – est l’ancien président de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (Féanf).
Comme le soulignait avec raison l’auteur du livre consacré aux véritables raisons du coup d’État du 5 septembre 2021, à la différence des autres leaders guinéens, le président Alpha Condé « est un homme profondément sensible, plein de compassion, généreux, tendre et affectueux. Il entretient un réel culte de la famille, de la parenté, de l’amitié, de la camaraderie. Le sens de l’écoute est puissant et naturel chez lui. Il hait, au plus haut point, la fourberie, l’hypocrisie, la duplicité. Il soigne, et assiste à des veillées mortuaires. Il console veuves et orphelins avec raison et sagesse. Il soulage les malades. Sa maison est le refuge des démunis. Même s’il peut parfois être impitoyable avec ceux qui l’ont trahi, Alpha Condé sait aussi pardonner, récompenser ou sanctionner avec clairvoyance et justice. Il relativise le mal qu’on lui fait, estimant que diriger un pays, c’est privilégier l’intérêt général. »
Incontestablement, c’est d’un tel leader que la Guinée a besoin pour panser ses plaies et réconcilier les cœurs. À preuve, alors qu’on pouvait penser que son arrestation arbitraire ainsi que son incarcération illégale à l’issue de la présidentielle de 1998 avaient nourri chez lui une volonté de revanche, une fois au pouvoir, Alpha Condé a plutôt œuvré pour le repos de l’âme de ses bourreaux, intervenant directement pour le bien-être matériel de leurs proches. Il n’a pas cherché à rendre le mal par le mal.
Au sein de la classe politique de son pays, il est le seul dirigeant considéré comme le baobab sous lequel les communautés composant la Guinée peuvent venir régler leurs différends. On l’a vu à l’œuvre durant ses deux mandats : en plus de s’entourer des cadres issus de toutes les régions du pays (la compétence était le seul critère requis), le fil conducteur de son action a été le pardon car, estime-t-il, et à juste titre, la paix n’a pas de prix.
D’ailleurs, le reproche constant qu’on lui fait, c’est de ne pas assez sanctionner. Ce qui fait dire à certains observateurs qu’Alpha Condé, avec sa bonté, est capable de pardonner à tous ceux qui l’ont trahi et qui sont trempés jusqu’au cou dans le complot qui l’a renversé. Il pourrait même leur confier des responsabilités dans la prochaine équipe gouvernementale. C’est en cela qu’on reconnait les vrais hommes d’État, se placer au-dessus de la mêlé.
Yasmina Perrière.
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