Décembre 2022, ouest de la France. En cette période de fin d’année, qui est généralement propice aux actes de contrition sans lesquels il n’y a point de rédemption, à la réconciliation, aux résolutions mais également aux souhaits divers et variés adressés à des êtres chers (dans l’hypothèse où la sincérité des personnes émettrice n’est pas feinte), deux militants panafricanistes convaincus ont pris place en première classe à bord d’un TGV Atlantique reliant Nantes à Paris. L’ambiance est studieuse, et les deux hommes affichent une mine des mauvais jours. Pendant les deux heures du trajet, les deux leaders politiques, anciens hauts dirigeants dans leurs pays respectifs, s’adressent à peine la parole. Tout se passe comme s’ils ne se connaissaient pas parfaitement, et comme s’ils étaient de parfaits inconnus qui se voyaient pour la première fois dans ce train à grande vitesse filant à vive allure dans les campagnes de France.
Pourtant, d’ordinaire (en tout cas depuis qu’ils se sont retrouvés à nouveau dans cette partie de la France de leur jeunesse), ces deux septuagénaires passent le clair de leur temps à se chahuter comme les deux adolescents qui partageaient les mêmes bancs de l’Université de Bordeaux où ils ont étudié la sociologie politique et l’histoire des institutions européennes. Depuis cette période, piqués par le virus de l’engagement dans le syndicalisme puis dans la lutte pour la dignité et l’émancipation des peuples africains, ils ne se sont point quittés. Dans la fièvre du processus de démocratisation de la plupart des pays d’Afrique d’expression française des années 1990, alors qu’ils sont devenus des hauts cadres de l’Administration publique chez eux, ils n’ont pas hésité à fonder des partis politiques afin de se lancer à la conquête du pouvoir de l’État. Seulement, ils n’ont jamais réussi à dépasser le palier de ministre des Gouvernements improbables, avant de tomber en disgrâce et d’être en rupture de ban avec le système à cause de leur liberté de ton et leur franc parlé. Il parait que les « demi-dieux » qui dirigent les États africains préfèrent la langue de bois et abhorrent les grandes gueules.
Ce jour, en revanche, les deux passionnés de l’Afrique donnent l’impression d’avoir l’esprit ailleurs, semblables à une pancarte « ne pas déranger », accrochée à la porte d’une chambre d’hôtel. Quand l’un est plongé dans la lecture, l’autre peaufine le discours qu’il compte prononcer lors d’un important rassemblement de panafricains anti-putschistes essentiellement consacré à la situation sociopolitique en République de Guinée. Un pays qui occupe une place particulière dans leur Panthéon pour avoir « préféré la pauvreté dans la dignité » à la richesse sous domination coloniale.
En vérité, ils sont loin de se douter que la réunion dont ils ont les principaux instigateurs et qui a rassemblé plusieurs centaines de personnes va créer la psychose au sein de la junte qui s’est emparée du pouvoir à Conakry le 5 septembre 2021. Car dans le compte-rendu de la rencontre qui a fuité pour atterrir sur la table de Mamadi Doumbouya, cette coalition anti-coup d’État en Afrique a conclu « à l’incapacité des putschistes d’apporter un minimum de réponse aux nombreux défis qui se posent à la Guinée », considérant par ailleurs que les auteurs du coup d’État « sont plus enclins à piller les maigres ressources de l’État et à faire fructifier leurs nombreux trafics, notamment la réception des cargaisons de drogue en provenance d’Amérique du Sud et leur convoyage en Europe. En clair, ceux-ci utilisent le pouvoir de l’État pour s’enrichir et faciliter le narcotrafic ».
D’ailleurs, à l’issue des échanges, « une convergence de vue s’est dégagée sur la nécessité de mobiliser toutes les forces au sein de l’opinion publique africaine susceptibles de contribuer au retour du président Alpha Condé, seul président élu démocratiquement, donc le seul légitime ». Conséquence : le ciel s’est obscurci sur la tête du chef de la junte guinéenne quand celui-ci a lu le précédent paragraphe, surtout lorsqu’il a découvert dans le texte tous les éléments relatifs à la stratégie et la prospective, donnant des indications sur une éventuelle mobilisation des citoyens guinéens ainsi que de tous les panafricains épris de justice sociale en faveur du retour du premier président démocratiquement élu du pays.
Comme si cela ne suffisait pas, ce sont les vœux du nouvel an adressés par le président Alpha Condé à son peuple qui sont venus annihiler les illusions de l’ex-légionnaire français, tant, en prenant connaissance de ses brefs mots empleins d’humanisme, les populations, du Sud ou Nord, d’Est en Ouest, ont exulté. Certains se sont mis à rêver du jour où le soleil de la liberté va se lever à nouveau sur la Guinée.
En effet, tout en s’inclinant devant « la mémoire de tous ceux qui ont perdu la vie » depuis le coup d’État, Alpha Condé a adressé ses « sincères condoléances aux familles des membres des forces de défense et de sécurité arrachés à la vie lors de l’attaque du palais présidentiel ». Il a également exprimé sa compassion à l’endroit de « tous ceux qui ont perdu un proche » durant l’année 2022, « tous ceux qui, en ce moment, sont confrontés aux épreuves de la maladie et de la souffrance humaine ».
Le président Alpha Condé n’a pas manqué de penser à « tous ceux qui sont victimes d’injustice dans leur travail, qui sont arbitrairement privés de liberté, qui ont perdu leur maison, qui sont désormais confrontés à l’insécurité et qui ne connaissent plus de lendemains meilleurs avec les nouvelles difficultés de la vie quotidienne ». Pour cette nouvelle année, il a formé une prière en faveur de chaque Guinéen, afin que la Providence lui accorde le droit « à une bonne santé, une bonne éducation, les moyens de subvenir aux besoins de sa famille », saluant le « courage et l’héroïsme de ceux qui sont restés dignes et refusent de céder à la fatalité de la résignation, face à l’inacceptable ».
Celui-ci est persuadé que la Guinée « s’est toujours singularisée dans son histoire par sa capacité à défendre sa souveraineté et son indépendance nationale », rappelant à la postérité que son « peuple s’est toujours illustré par une capacité de résilience face aux obstacles qui se dressent sur [son ] chemin ». Enfin, ce dernier a réaffirmé qu’il « reste un président élu très attaché à la démocratie, à l’État de droit, au respect de nos valeurs de liberté et de dignité. Nous devons tous rester fidèles à l’indépendance de notre pays, à la démocratie et à l’État de droit. Et ensemble, nous construirons un avenir meilleur ».
Ces mots, les premiers formulés par le président Alpha Condé depuis le coup d’État, ont eu l’effet d’une bombe dans le pays profond. Au-delà du fait qu’ils ont rassuré les populations auxquelles les mauvaises langues ont raconté des balivernes à propos de l’ancien président de la FÉANF, ils remettent les pendules à l’heure et tordent le cou aux analyses de ces fameux « africanistes » qui, depuis Paris, l’ont déjà définitivement enterré politiquement. En plus, ils ont créé la peur-panique chez Mamadi Doumbouya qui, selon des sources dignes de foi, a déserté le Palais Mohamed V de Conakry. Le chef de la junte est d’autant plus inquiet que les Guinéens ont multiplié ces vœux du président Alpha Condé pour les distribuer comme de petits pains. Cela s’est transformé en un appel à la mobilisation citoyenne puisqu’il y a certains signes qui ne trompent pas.
Yasmina Perrière.
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