Depuis le 26 mars dernier, date officielle de la fin de la transition, les militaires maliens ont ignoré leur propre engagement pour se maintenir au pouvoir en toute illégalité. Si preuve est faite que le Mali est pris en otage par la junte au pouvoir, il n’en demeure pas moins que les forces politiques du pays, qui contestent de plus en plus ouvertement la légitimité des putschistes, s’organisent pour les chasser de la scène.
Certes, une féroce répression s’abat sur tous ceux qui osent critiquer Assimi Goita et sa bande ; émettre un simple avis contraire à la ligne officielle de la junte équivaut à un billet d’écrou conduisant à la prison sans une forme de procès. D’ailleurs, début mai, un dialogue inter-Maliens boycotté par la quasi-totalité des partis politiques, a prorogé la durée de la transition de deux à cinq ans, autorisant au passage la candidature du chef de la junte à la prochaine élection présidentielle.
Mais ni la persécution ni, encore moins, le passage en force des militaires n’a entamé la détermination des démocrates maliens, bien au contraire. En face des putschistes, les personnalités maliennes les plus représentatives ont mis en place un gouvernement de la transition civile en exil, qui est chapeauté par l’ancien premier avocat général près la Cour suprême, Cheick Mohamed Chérif Koné.
Celui-ci est catégorique : « Le gouvernement est en exil mais ses membres ne sont pas des exilés. Nous sommes un rassemblement de patriotes sincères et nous dénonçons la légitimité du gouvernement actuel du fait qu’il se maintient illégalement au pouvoir par la force des armes en remettant en cause les acquis démocratiques et la forme républicaine de l’État ».
Il faut dire que ce sont tous les partis politiques et toutes les associations qui comptent dans le pays qui contestent la légitimité de la junte depuis la fin légale de la transition. Et leur message rencontre un fort écho favorable au sein non-seulement de la population mais de la communauté internationale. Par exemple, l’appel lancé par ce gouvernement de la transition civile en exil, le 3 juin, aux secrétaires généraux des ministères pour « préserver l’intégrité des institutions et assurer la continuité des services publics » a été largement suivi. Les nouveaux fonctionnaires nommés par Assimi Goita ont eu du mal à s’installer. Aujourd’hui au Mali, on se sait plus à quel gouvernement obéissent les agents de l’État.
Pour ne rien arranger, le 5 juin dernier, le gouvernement de la transition civile en exil s’est entretenu avec la délégation de la division diplomatique des Nations unies basée à Dakar. Un entretien jugé « fructueux » par les deux parties, dont l’objectif était d’évoquer les modalités du retour à l’ordre constitutionnel au Mali.
De l’avis de tous les observateurs sérieux, le fait qu’une division aussi importante des Nations unies reçoive les membres du gouvernement de la transition civile en exil constitue un véritable camouflet pour la junte. Autrement dit, la communauté internationale place sur un même pied d’égalité le « gouvernement de fait » de Bamako et celui qui est en exil.
À l’évidence, les nombreuses restrictions des libertés d’associations pourtant garanties par les textes auxquels le Mali a souscrit n’ont pas manqué de choquer les responsables des organisations internationales, notamment le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme. Ce dernier s’est dit « profondément préoccupées » par la dissolution des organisations de la société civile au Mali, et plus largement, au non-respect des libertés fondamentales.
Justement, ces dissolutions – celles visant la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (CMAS) et l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM) accusée d’être responsable de violences ont fini par réveiller les démocrates maliens qui s’accommodaient de la situation. Les divisions au sein de l’opposition et les querelles d’égo entre les leaders, qui avaient plongé les partis politiques ainsi que les organisations de la société civile dans une certaine léthargie semblent être derrière.
En tout cas, les forces vives maliennes, qui ont parfois donné l’impression d’avoir capitulé devant les coups de boutoirs des militaires et d’avoir abandonné la lutte politique afin de se mettre à l’abris des arrestations arbitraires et des poursuites judiciaires montées de toutes pièces ont retrouvé de la voix. Désormais, la junte militaire n’a plus le loisir de dérouler son agenda sans encombre, ni même de faire adopter une Constitution taillée sur mesure pour le chef de l’État de la transition. Cela relève du passé ! Car ses membres retrouveront les démocrates devant eux.
À cela, il faut ajouter les contradictions et les suspicions parmi les militaires eux-mêmes – ce qui augure des lendemains incertains. Entre Assimi Goita, qui soupçonne les autres colonels de vouloir faire un coup d’État pour prendre sa place, et le Premier ministre Choguel Maïga ne souhaitant plus jouer les faire-valoir, il y a le peuple malien, aux prises avec les difficultés quotidiennes. Ces hommes et ces femmes maliens sont durement frappés par une inflation galopante et la rareté des produits de première nécessité. Dans ces conditions, le chef de la junte peut-il encore tenir ? Rien n’est moins sûr.
« La reprise de nos articles est autorisée à condition de citer la source. »