Que celui qui n’a jamais entendu parler du postulat rendu célèbre par l’ancien ministre français de l’intérieur, Charles Pasqua, lève le petit doigt, et il suscitera l’hilarité de ses interlocuteurs.
Le théorème du défunt baron du Rassemblement pour la République (RPR) est si populaire et si ancré dans les habitudes au sein des palais présidentiels africains abonnés aux scandales ainsi qu’aux faits divers sordides que même la junte militaire à Conakry en ont fait son crédo : « Quand on est emmerdé par une affaire, il faut susciter une affaire dans l’affaire, et, si nécessaire, une autre affaire dans l’affaire de l’affaire, jusqu’ à ce que personne n’y comprenne rien. » Voilà l’affaire.
Pressés par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) – appuyée par la communauté internationale – de rendre le pouvoir aux civils dans un délai raisonnable, brocardés par une bonne partie de la presse internationale qui se méfient désormais d’eux, Mamadi Doumbouya et sa suite ont tenté une diversion en ordonnant ce jeudi 3 novembre à ce qui reste de la justice guinéenne, d’engager des poursuites judiciaires contre le président Alpha Condé et contre plus de 188 hauts cadres ou ex-ministres de son régime. Ces anciennes autorités de la Guinée sont poursuivies « pour des faits présumés de corruption, enrichissement illicite, blanchiment d’argent, faux et usage de faux en écriture publique, détournement de deniers publics et complicité ». Rien que ça !
Commentaire d’un diplomate en poste à Conakry : « C’est l’hôpital qui se moque de la charité. Ces poursuites constituent la seule parade trouvée par les pseudos stratèges de la junte pour essayer de détourner l’attention sur les vraies questions de l’heure, à savoir le tournant dictatorial de Mamadi Doumbouya et sa volonté de plus en plus assumée de confisquer le pouvoir. Personne n’est dupe ».
Ce représentant d’un pays occidental dans la patrie de Camara Laye ne croit pas si bien dire puisque les actions judiciaires engagées offrent l’occasion de se demander sur les véritables motivations des putschistes. D’autant qu’elles ressemblent à un véritable harcèlement. Car ce n’est pas la première fois que le président Alpha Condé est ainsi visé par la justice d’Alphonse Charles Wright, qui confond son rôle à celui d’un inquisiteur des temps modernes. En mai dernier, il avait déjà mis en cause celui qui est toujours légalement le président de la Guinée (Alpha Condé ayant refusé catégoriquement de signer sa lettre de démission en dépit des pressions multiformes de Mamadi Doumbouya) pour des faits présumés d’assassinats, actes de tortures, enlèvements et viols.
L’indécence est poussée à son paroxysme lorsqu’on découvre les patronymes de certaines personnes décédées depuis… 2014 dans la liste rendue publique par Alphonse Charles Wright. Au-delà de l’incongruité de sa démarche, l’explication donnée par le ministre de « l’Injustice » de la junte militaire prêterait plutôt à sourire s’il ne s’agissait pas d’un acte de profanation de la mémoire des défunts. Dès lors, on peut interroger la source de légitimité de ces putschistes et leurs affidés. Il est proprement choquant de recevoir des leçons d’éthique et de morale publique de la part des gens qui ont commis un crime imprescriptible contre le peuple guinéen en renversant les institutions légales.
Voici des individus qui se sont emparés du pouvoir de l’État par la force de la baïonnette, marqués au fer rouge de l’illégitimité, qui ont, malgré tout, la prétention d’agir au nom et pour le compte du peuple guinéen. Qui les a mandatés ? D’où tirent-ils leur légitimité, serait-on tenté de leur rétorquer. Parce que seul un régime ayant reçu l’onction du suffrage universel peut valablement engager un pays sur des sentiers aussi sensibles que ceux de la justice. En réalité, Mamadi Doumbouya et sa suite se sont mis en tête d’éliminer toutes les voies discordantes, y compris celles de ceux qui les ont applaudis au départ.
Après avoir contraint à l’exil certains membres importants de la classe politique guinéenne, non contents d’engager des poursuites judiciaires fantaisistes contre ces derniers, les putschistes veulent s’assurer un boulevard sans embûches vers la tour du pouvoir. À preuve, si besoin en fallait encore, l’un des visiteurs du soir du chef de la junte nous a confiés sous le couvert de l’anonymat que ce dernier aime répéter qu’il ne «commettra point les mêmes erreurs de Moussa Dadis Camara ».
Traduction : il ne prendra pas le risque de laisser en liberté tous ceux qui sont susceptibles de lui ravir le pouvoir. Et la principale personnalité dans sa ligne de mire n’est autre que l’ancien président Alpha Condé. C’est d’ailleurs ce qui explique ses tentatives de ramener ce dernier ipso facto à Conakry afin de mieux le surveiller. Sinon personne, y compris le chef de la junte lui-même, ne peut raisonnablement croire que l’ancien président serait coupable des faits qui lui sont injustement imputés. Quand on sait que la seule boussole d’Alpha Condé était le respect des droits humains.
Il paraît donc évident que Mamadi Doumbouya est déterminé à jeter en prison les potentiels candidats à la prochaine élection présidentielle avant d’annoncer sa propre candidature. C’est le sens de l’interdiction des manifestations pacifiques dans le pays, de la confiscation de l’ensemble des libertés et de la dissolution du Front de défense de la Constitution (FNDC). Celui-ci est persuadé d’une chose : Moussa Dadis Camara n’avait pas pris le soin de se débarrasser de tous les empêcheurs à tourner en rond avant de faire connaître son intention de rester au pouvoir.
Par ailleurs, il est également permis de questionner l’offensive diplomatique engagé par le président du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD). L’on apprend qu’il a été pris d’une envie soudaine de dépêcher ses émissaires dans la sous-région afin, semble-t-il, de passer des « messages d’apaisement ». Après avoir envoyé à Abidjan le Premier ministre ainsi que son ministre de la Sécurité pour tenter de s’attirer la sympathie du président Alassane Ouattara, tout indique que l’un des envoyés très spéciaux de Mamadi Doumbouya, à savoir l’inspecteur général des armées guinéennes, Abdoulaye Keïta, a rencontré le président sénégalais Macky Sall en marge du Forum de Dakar sur la sécurité en Afrique.
Nous ne sommes pas assez naïfs pour croire que c’est seulement pour déminer le terrain avant le sommet de la Cédéao qui doit en principe entériner le fameux « compromis dynamique » relatif au délai de la transition que les hommes de Doumbouya font le tour des palais présidentiels ouest-africains. En vérité, les émissaires du chef de la junte ont pour consignes, entre autres, de sonder les dirigeants de la sous-région en vue d’évaluer leur degré d’hostilité contre l’hypothèse d’une éventuelle candidature de l’auteur du coup d’État du 5 septembre 2021. Aussi, la coïncidence entre ces missions diplomatiques tous azimuts et l’instrumentalisation de la justice guinéenne est assez curieuse. En tout état de cause, une chose est de concocter des plans diaboliques, une autre est de les mener à bien. Qui vivra verra.
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